ENFANTS DE LA RÉSURRECTION

2 M 7, 1-2 + 9-14 ; 2 Th 2, 16 – 3, 5 ; Lc 20, 27-38
Trente-deuxième dimanche du temps ordinaire – année C (6 novembre 2022)
Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS

Frères et sœurs, nous avons là un texte extrêmement intéressant car très moderne. On n’a pas attendu les laboratoires de génétique et les banques de sperme pour inventer la GPA. C’est ce qui s’est passé dans la prescription de Moïse : quand un homme marié meurt sans enfant, on considère que le frère puiné doit épouser la veuve pour lui susciter une descendance. Selon une histoire que l’on devait raconter dans les écoles rabbiniques, les sadducéens ont imaginé le cas, sans doute purement fictif, d’une fratrie de sept frères, où la veuve du premier épouse le second, puis veuve du second épouse le troisième et ainsi de suite sans qu’au bout du compte aucun ne suscite une descendance. C’est sociologiquement intéressant parce qu’à cette époque-là, on ne pouvait pas imaginer que les hommes fussent dans l’incapacité de concevoir un enfant. C’était toujours de la faute aux dames ! Donc, ils auraient dû se méfier à partir du troisième ou du quatrième et se dire que ce n’était pas la bonne adresse pour la GPA…

 Aujourd’hui, nous en rions un peu et pourtant ce texte est extrêmement suggestif. Pour essayer de comprendre quelque chose à ce qu’Il voulait enseigner, Jésus, attrapant la balle au bond, a proposé une interprétation pour réfuter les sadducéens. Ces derniers avaient une vision complètement sécularisée des choses : pour eux, il n’y avait pas d’autre monde, il n’y avait pas d’anges, ce monde-ci existait et quand on mourait, c’était fini. Par conséquent, l’aventure des sept frères qui retrouvent la sept fois veuve au paradis les passionnait car cela leur paraissait impossible. Pour eux, pas de résurrection des morts, inutile d’insister.

Or, la conséquence de cela est que s’il n’y a pas de résurrection des morts, comment peut-on « vivre au-delà de soi-même » ? Il faut déjà avoir un enfant et, à cette époque-là, un enfant mâle, les filles ne comptent pas. Comme on dit encore dans certains pays arabes, il a trois enfants et six filles… La descendance que l’on pouvait susciter, quelles que soient les méthodes (c’est pour cela que j’ai parlé de GPA), était la seule chose qui comptait. Aujourd’hui encore, même s’ils ne s’en rendent pas compte, nos agnostiques les plus convaincus sont comme les sadducéens, adeptes de la doctrine du grand prêtre Sadoq. C’est une forme caricaturale de l’éternité : j’existe à travers ma descendance. Dans l’Antiquité, c’était quelque chose d’assez courant.

Avec cette histoire-là, les sadducéens viennent à la rencontre de Jésus et comme ils savent qu’Il a plusieurs fois parlé de la résurrection, utilisé le terme, ils se disent que c’est la meilleure occasion d’essayer de Le mettre dans l’embarras. Cette histoire qui aujourd’hui nous fait sourire est révélatrice d’une mentalité extrêmement profonde dans le judaïsme même si tous les juifs ne pensaient pas ainsi : nous venons de voir que pendant la persécution des juifs cent cinquante ans plus tôt, les enfants et leur mère meurent martyrs pour la résurrection et la proclament au moment même où le délégué du roi Antiochus veut les tuer. Par conséquent, c’était la question à la mode. Ce qui montre que les problèmes qui dominaient alors l’actualité étaient un peu plus intéressants que les nôtres. On discutait de la résurrection.

Cela peut paraître bizarre que ce soit les sadducéens, ces curés sécularisés, qui pensent ainsi mais ce n’est pas vraiment une exception car on en rencontre encore parfois de nos jours. Pour eux, c’était la fine pointe du problème. Il faut gérer le monde et assurer la permanence et la perpétuation d’Israël, à l’instar des Romains avec lesquels ils étaient copains, et ce non seulement au plan de la natalité mais aussi aux plans civils, politique et religieux. Les sadducéens étaient les conservateurs obtus par excellence. Il faut faire comme on a toujours fait car c’est Moïse qui l’a dit et donc on ne discute pas.

On vit dans cet univers-là et on comprend dès lors que pour les sadducéens, Jésus représente une certaine menace pour l’ordre établi. Il vaudrait donc mieux essayer de Le coincer sur le problème de la résurrection. Ils racontent l’histoire que vous connaissez et ils disent à Jésus : « Tu vois bien que tes affirmations sur la résurrection ne tiennent pas debout car le jour où l’on ressuscite, de qui la veuve sera-elle la femme ? » C’est un des rares cas de polyandrie à ce point-là dans l’Ancien Testament. Bien qu’elle ait la vie dure pour avoir résisté à sept maris, Madame meurt à son tour et quand elle ressuscite, on ne peut savoir de qui elle sera la femme. Pour eux, c’est là la preuve de l’absurdité même de la résurrection.

A cette question, Jésus répond d’une façon qu’on peut trouver un peu simplette en disant en substance : « Dans la résurrection, nous serons égaux aux anges ». La belle affaire ! Peu d’entre nous veulent devenir des anges car entre anges, il n’y a ni homme ni femme ni trans : les anges ne sont que des hommes à cette époque-là. Certes, les femmes deviendront aussi des anges, mais des anges non sexués. La vie sera tranquille là-haut car même si les femmes seront belles comme des anges, on n’éprouvera aucun désir pour elles. Et surtout, c’est ce que pense Jésus, les anges n’ont pas envie de se reproduire. C’est une donnée fondamentale de la théologie chrétienne : la différence entre les anges et nous est que nous avons envie de nous reproduire parce que nous sommes mortels tandis que les anges eux sont immortels.

Jésus leur dit qu’il est inutile d’essayer de faire le parallèle entre ce qui se passe maintenant et ce qui se passera après. C’est très intéressant du point de vue de la réflexion de notre foi : il ne faut pas tenter de transposer ce que nous vivons maintenant dans le monde à venir. Cela peut paraître un peu frustrant mais c’est bien cela que Jésus veut dire. Quand on est dans le monde à venir, ce n’est plus la même loi parce que notre vie sociale, politique, familiale est essentiellement conditionnée par la possibilité de survivre à travers une descendance. Autrement dit, la sexuation humaine c’est l’anti-mort. S’il y a des hommes et des femmes et s’il y a l’amour entre les hommes et les femmes, c’est pour lutter contre la mort, pour essayer d’avoir une immortalité autant que l’on peut et avec les moyens du bord liés au fait que monsieur est monsieur et madame est madame.

Jésus veut dire : « Vous ne considérez votre existence et votre avenir qu’à la mesure même de ce que vous essayez d’expérimenter maintenant et c’est pour cela que Moïse vous a donné une loi qui vous facilite un peu les choses », – ce que j’ai appelé la GPA, GPA mosaïque pas l’actuelle. Cette réponse est extrêmement pointue car réfléchissons sur le problème de fond : pourquoi est-on comme cela ? Parce que l’humanité veut vivre toujours. C’est exactement la même pensée que Madame Bonaparte que je cite si souvent : « Pourvou qué ça doure ! »

Jésus rappelle que c’est sur ce rythme-là et selon ces données-là que nous vivons. Non pas que la sexualité soit assimilée au corps mais parce qu’elle est l’anti-mort dans le monde actuel : je ne veux pas mourir. Face à une pensée aussi bétonnée, Jésus la réfute en disant que de l’autre côté, nous serons comme des anges parce que nous serons fils de la résurrection. Jésus dit que non seulement Il a parlé de résurrection pour montrer la promesse qu’Il vient apporter de la part de son Père, mais aussi parce que la résurrection sera une sorte d’engendrement plénier de ce que nous sommes. Par la création, dans l’ordre créé de la vie familiale marquée par toutes les institutions familiales et sociales, nous sommes fils de Dieu mais ce même être que nous sommes, au lieu de dépendre de la filiation humaine dont nous sommes totalement héritiers, deviendra fils de la résurrection. Notre rapport avec Dieu et avec la création sera différent.

Ne me demandez pas comment cela se combine. Jésus n’a pas donné beaucoup d’explications. Mais cela veut dire au moins une chose : la loi de filiation divine qui existe déjà dans la création, quand on sera auprès de Dieu, prendra une plénitude telle que nous n’aurons plus le souci de durer. C’est un peu la formule de la Plaisante Sagesse lyonnaise : « Au ciel on sera si heureux, si heureux, que l’éternité sera bien vite passée ».

Le déploiement de notre être filial actuellement dans la vie conjugale, familiale est déjà une ébauche mais ce n’est qu’une ébauche. Il fallait oser dire que la réalité fondamentale qui constitue les sociétés n’est pas une réalité achevée en elle-même mais une réalité qui demande à trouver et à recevoir une plénitude nouvelle parce qu’on est fils de la résurrection. Jésus dit clairement ici que s’Il annonce la résurrection, c’est parce qu’elle est le pilier même de sa compréhension de la vie humaine et que nous sommes appelés un jour à devenir fils et fille de Dieu d’une autre manière. Il n’y aura plus la nécessité de se reproduire, notre vie recevra une plénitude telle que c’est l’immortalité.

C’est pour cette raison qu’à la fin Jésus ajoute ce petit mot qui peut nous paraître assez bizarre : « Vous citez Moïse pour la question de savoir comment traiter la belle-sœur veuve mais moi, Je vais vous en citer une autre, c’est la première parole que Moïse reçoit de Dieu quand il est dans le désert et qu’il voit le buisson ardent : Je suis le Dieu de Moïse, d’Isaac et de Jacob ». Il y a longtemps qu’ils sont morts quand Il parle de cette façon à Moïse. Dieu se présente à lui comme Père de gens qui sont morts, or ils sont vivants précisément parce qu’ils sont auprès de Dieu. C’est pourquoi Dieu n’est pas le Dieu des morts mais le Dieu des vivants.

La résurrection elle-même est portée par le fait de foi que Dieu veut que nous soyons des vivants. Mais nous ne sommes pas maîtres, comme nous nous l’imaginons parfois, de la vie à travers la vie conjugale, sexuelle, nous recevons et accueillons la vie à ce moment-là à travers le mystère de la résurrection qui est l’accomplissement de notre relation filiale à Dieu.

Frères et sœurs, c’est sans doute pour cette raison que ce texte, cette polémique avec les sadducéens, a été retenu par les trois évangiles synoptiques : ils y ont bien vu le fait que dans le monde à venir, une des choses essentielles à souligner est le fait que nous recevons une transformation de notre vie de fils et fille de Dieu telle qu’il y a une plénitude qui vient directement de Dieu Lui-même. Cela rejoint ce que disait saint Jean dans son Prologue à propos de ceux qui ne sont pas nés de la chair et du sang mais qui sont nés de Dieu. Nous sommes tous nés de la chair et du sang mais un jour, nous serons nés de Dieu. Ce que nous sommes actuellement, dans toutes les limites et toutes les contingences liées à notre appartenance à ce monde, à l’espace et au temps, nous le serons d’une autre manière. Nous serons fils de Dieu d’une manière sur laquelle nous n’avons aucune prise et aucun pouvoir, mais qui sera véritablement l’accomplissement de cette création et de notre condition d’homme et de femme telle que nous ne pouvons pas l’imaginer actuellement puisque nous ne sommes pas encore pleinement fils de la résurrection.



 
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