LA GRATUITÉ DU DON DE DIEU

Am 8, 4-7 ; 1 Tm 2, 1-8 ; Lc 16, 1-13
Vingt-cinquième dimanche du temps ordinaire – année C (18 septembre 2022)
Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS

Frères et sœurs,

L’année commence de façon plutôt difficile. En effet, on arrive ici à l’église et on nous raconte que l’argent est malhonnête, qu’il ne faut pas chercher à en gagner, à s’enrichir, que l’on ne peut pas servir deux maîtres : ou bien on va à l’église, ou bien on va à la Bourse mais on ne peut pas faire les deux. Si c’est cela l’enseignement du Christ, comme certaines personnes le pensent, alors tout notre monde occidental basé sur ce symbole de la confiance qu’est la monnaie, est fichu. Ou bien on dit le chapelet toute la journée, ou bien on valorise ses actions. Telle serait l’alternative.

Frères et sœurs, j’aimerais vous proposer à partir de cette parabole, une interprétation non pas pour calmer votre conscience (car chacun en prend son parti à partir du moment où il faut payer ses impôts, régler ce que l’on doit à l’URSSAF ou à la Sécurité Sociale, et on se rend bien compte que l’argent sert à quelque chose pour les valeurs d’échange) mais une réflexion toute simple et absolument décisive pour nous chrétiens.

Tout d’abord, il n’est pas nécessaire de nous poser comme les modèles mêmes de la générosité. Certes, je ne vais pas vous décourager de donner à la quête et au denier de l’Eglise mais il faut reconnaître qu’aujourd’hui, l’Eglise dans le domaine du partage et du caritatif a été très bien imitée (de ce point de vue-là, c’est presque l’inverse de la parabole) par beaucoup d’actions, d’organisations, d’aide humanitaire qui heureusement sont comme le rayonnement de ce que l’Eglise a essayé d’initier puisque, dès le début, les communautés sont venues en aide les unes aux autres. Donc, on en prend acte et on va se débrouiller avec ça. Mais c’est surtout cette parabole qui choque, celle dite de "l’intendant malhonnête", une expression assez bien trouvée bien qu’il ne soit pas si malhonnête que ça.

De quoi s’agit-il ? Un maître qui a une fortune : à l’époque ça commence déjà car il y a des remembrements de propriétés comparables aux rachats d’entreprises aujourd’hui, la Judée était alors en plein essor économique. Est-ce Jésus qui l’a inventée ou l’a-t-il attrapée au vol, toujours est-il que circulait une petite histoire qui faisait rire beaucoup de monde, celle du propriétaire d’un très grand domaine qui avait un intendant. Tout à coup, le maître s’aperçoit que la gestion de l’entreprise n’est pas aussi évidente qu’on le croit et que l’intendant est un filou qui a réussi à s’enrichir à ses dépens. Le maître est furieux et, sans préavis, il le renvoie. L’intendant est en mauvaise position car il se retrouve en congés sans solde, les parachutes dorés n’étant pas encore connus. Il se demande comment s’en sortir. C’est un intendant certes malhonnête mais courageux car il veut faire face à la réalité. Il ne veut pas faire un métier manuel parce qu’il a fait HEC, il ne sait pas piocher, il ne veut pas mendier car ce serait la honte absolue, il serait déconsidéré aux yeux de tous. Alors, comme il détient les livres de gestion et qu’il connaît tout du fonctionnement de la propriété, il sait qu’il y a un certain nombre de débiteurs qui doivent beaucoup au maître et il s’adresse à deux d’entre eux, ceux qui en devaient le plus (cent mesures de blé ça représente beaucoup à l’époque) et il leur propose de réduire de moitié leur dette en faisant une fausse facture (dans l’Antiquité, on faisait des fausses factures pour diminuer le coût alors qu’actuellement on a plutôt tendance à faire l’inverse pour améliorer l’ordinaire). Cet intendant extrêmement malin et filou leur propose de diminuer leurs dettes sachant que les débiteurs lui seront reconnaissants d’avoir falsifié les écritures de son maître. La conclusion inattendue est que quand le maître apprend le procédé utilisé par son intendant, celui qui dirigeait son entreprise, il est époustouflé et il le loue ! Il est un peu étonnant que cette parabole nous revienne dans l’évangile car en général, on ne peut pas dire que Jésus ait choisi comme disciples, comme amis ou personnes de son entourage, des filous. Certes, il y en a bien un qui l’a vendu pour trente deniers mais Il avait quand même un peu plus de jugement là-dessus.

Je voudrais donc vous proposer une clé, pas une solution mais plutôt une réflexion car on conçoit trop facilement que les sermons sont faits pour mâcher l’intelligence des évangiles de telle sorte que ça devienne automatique et que l’on fasse des "chrétiens de Pavlov". Or, l’homélie est un commentaire de l’évangile pour aider à réfléchir même si, à l’issue, il reste beaucoup de questions et d’interrogations (ce qui serait le signe que j’ai bien prêché).

Posons la question carrément : qui est le propriétaire dans cette affaire ? Il n’y en a qu’un, c’est le maître du domaine. Tous les autres, l’intendant, les débiteurs, ne sont pas propriétaires. L’intendant est outrageusement digne de confiance puisque le maître a considéré que non seulement c’est lui qui était le propriétaire mais à un moment donné, il a suffisamment de générosité pour lui dire : « Je te fais confiance, tu gères ma fortune ». Il vaut mieux choisir de meilleurs conseillers financiers. Le gérant ne possède rien et les débiteurs encore moins, ils ont joui de quelque chose qui ne leur appartenait pas. Ils vivent sur le bon vouloir du maître, sur la générosité du maître qui a fait crédit, ce sont des profiteurs. C’est ce que l’on ne voit pas trop dans la parabole : il n’y a qu’un personnage qui donne, qui est généreux et qui fait confiance, tous les autres sont des filous.

Il y en a quand même un qui est plus filou que les autres : c’est celui qui commence à falsifier les dettes car il sait ce que les autres doivent. Mais maintenant qu’il vient d’être mis à pied, il sait aussi ce qu’il devait à son maître, à savoir sa situation sociale, son boulot. Donc c’est comme si au moment où le maître lui demandait de rendre compte de sa gestion, il lui disait : « D’où cela vient-il que tu sois mon intendant ? D’où vient ton pouvoir ? Cela ne vient que de moi ». Le fait d’avoir été mis à pied ouvre les yeux de l’intendant : cette fortune n’était pas la sienne et il ne méritait pas la confiance qui lui était accordée. C’est comme un éclair, une illumination : qu’est-ce qui fait que je suis intendant ? Quant aux débiteurs, ce sont des profiteurs ordinaires, ceux à qui on dit que leur dette passera par profits et pertes. Ils ne sont propriétaires de rien puisqu’ils doivent plus que leur propre fortune (aujourd’hui, on est habitué à ce genre de situation surtout avec les Etats). Il n’y a qu’un propriétaire et il vit sur la confiance.

Alors transposons cela : de quoi sommes-nous propriétaires ? De rien. La vie, c’est donné. La situation sociale, c’est donné. La responsabilité dans la société, c’est la confiance que l’on nous fait. Tout ce qui nous constitue nous-mêmes comme nous-mêmes nous est donné. Être enfant de Dieu, être homme, avoir des tas de richesses humaines, spirituelles et matérielles, c’est donné. Et qu’en fait-on ? On traite cela comme si c’était nos propres affaires. Tel est le nœud du problème. Nous sommes créatures de Dieu, nous avons tout reçu de Lui. On est marié, on a reçu l’amour d’un homme ou d’une femme. On est responsable d’une entreprise, on a reçu comme un cadeau, une confiance, la responsabilité d’une entreprise. On est père de famille, on n’est pas propriétaire de ses enfants, ils sont donnés, ils sont confiés. La plupart du temps, on se dit que l’on peut falsifier le billet de la dette, en disant à son enfant : « Tu ne te rends pas compte de tout ce que j’ai fait pour toi ! » Je ne sais pas si les gamins y croient.

Si on loue l’intendant à la fin, c’est parce qu’il est le premier à se rendre compte qu’il est un intendant. Certes, il s’en sert mal mais il raisonne de façon logique : rien ne lui appartient mais rien n’appartient aux autres non plus. Alors essayons de reconnaître que tout ce que nous sommes, tout ce que nous vivons, tout ce que nous faisons, est cadeau, est donné.

Il n’y a pas de plus grande parabole dans tout l’évangile que celle-ci pour nous dire ce qu’est la grâce. C’est pour cela qu’à la fin, c’est opposé à l’argent. Car que fait-on avec l’argent ? On mesure sa situation, on mesure ses responsabilités, on mesure ce que l’on a fait et on ne demande rien à Dieu. Et on commence alors à faire que les choses qui étaient gratuites soient mesurées, calculées et appropriées.

Frères et sœurs, cela ne veut pas dire que nous allons tous devenir des partenaires du communisme universel. Ce n’est pas ce que Dieu veut. Il existe un ordre propre de la justice sociale, économique et c’est nécessaire mais il n’empêche que si nous chrétiens, comme Eglise, nous ne savons plus témoigner de la gratuité même de ce que Dieu nous a donné, alors ce serait très dommage non seulement pour nous mais aussi pour le monde entier.

 

 

 
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